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Une vie prodigieuse

Face à l'océan Atlantique, le jeune Aimé Jacques Alexandre Goujaud-Bonpland rêve d'îles lointaines, de Vendredis perpétuels et d'une vie de Robinson Crusoé. Il est né le 28 août 1773 et baptisé le jour suivant dans une paroisse de La Rochelle après son frère aîné Michel Simon et avant sa sœur Olive. Il hérite du surnom "Bonpland" car, explique la légende familiale, comme son frère il sera un "bon plant". Comme son frère donc il ajoute ce surnom à son patronyme. Il en fera son nom propre.

 

Comme ses aïeuls, Aimé s'intéresse à la médecine et à la pharmacopée. Comme son frère, il quitte La Rochelle en 1791 pour aller étudier la médecine à Paris alors en pleine Révolution. Il s'intéresse dès lors à la botanique, science-reine enseignée au Muséum national d'Histoire naturelle sous l'égide des Jussieu, Lamarck et Desfontaines dont il est un élève assidu. Aimé rêve ici de plantes lointaines et d'explorations scientifiques, d'infiniment grand et d'infiniment petit. Remarqué parmi le microcosme étudiant, Aimé est pressenti pour accompagner Baudin dans les mers du Sud. Les guerres de la Révolution empêchent cette expédition mais non celle de Bonaparte en Égypte, justement à cause de la guerre révolutionnaire. Aimé hésite et refuse. Il préfère rester à Paris. Il y rencontre Alexander von Humboldt.

 

Une amitié germe entre les deux jeunes hommes et une idée naît en 1798 : rejoindre Bonaparte. La guerre les en empêche, la traversée de la Méditerranée est trop douteuse. Ils marchent alors vers l'Espagne, herborisant au passage jusqu'à Madrid où se trouve Willem, frère d'Alexander alors diplomate à la cour d'Espagne. Aimé et Alexander accèdent à Madrid et, grâce à Willem et au roi Charles IV, ils peuvent accéder aux colonies espagnoles d'Amérique.Ils saisissent l'opportunité qui leur est offerte : un blanc-seing pour explorer l'Amérique.

 

Entre 1799 et 1804 les deux hommes voyagent, explorent et rencontrent une multitude d'êtres des trois règnes. Ils parcourent des milliers de kilomètres dans les pays actuels du Venezuela, Cuba,Colombie, Équateur, Pérou, Mexique, Etats-Unis. Ils en reviennent richissimes d'échanges et d'échantillons. Humboldt y aura dépensé une partie de sa fortune, Aimé y adopte définitivement son nom patronymique : Bonpland, laissant Goujaud à son frère Michel, sa sœur Olive épousant Pierre-Philippe Gallocheau, tous deux s'enracinant en Charente-Maritime. Aimé tente alors de s'ancrer à Paris.

 

Mais en 1804 tout a changé en France. Napoléon règne désormais sur le pays et bientôt sur une grande partie de l'Europe. Humboldt travaille à régner sur le monde scientifique. Bonpland décrit et classe des milliers d'échantillons botaniques et s'efforce d'intégrer le milieu scientifique. Ses herbiers en font un homme riche puisqu'une confortable pension perpétuelle lui est versée en échange du don d'un double de l'herbier au Muséum national d'Histoire naturelle. Mais ils n'en font pas un homme institué. Aimé tente d'intégrer sans succès l'Institut et le Muséum mais en août 1808 sa bonne étoile semble briller : il est nommé botaniste de l'Impératrice Joséphine.

 

Au mois de décembre de la même année Bonpland est nommé intendant général des domaines de l'Impératrice à Malmaison. Il dirige alors l'un des plus formidables laboratoire d'Europe en matière de flore et de faune. La séparation intervenue entre Joséphine et Napoléon à la fin de l'année 1809 ne l'empêche pas de poursuivre ses recherches. Au contraire, le domaine de Navarre situé près d'Évreux et offert par Napoléon à Joséphine amplifie l'action de Bonpland qui parcourt alors l'Europe afin d'enrichir ces domaines. Dans ces domaines il rencontre Adeline Delahaye et sa fille Emma; ils s'unissent malgré la réprobation familiale.

 

L'apothéose annoncée se termine néanmoins en 1814 avec la disparition de Joséphine puis de l'Empire. Bonpland végète. Mais végéter pour végéter, il veut revoir l'Amérique. Il prend contact avec les indépendantistes sud-américains et se décide à traverser une nouvelle fois l'Atlantique en direction de Buenos Aires où l'attendent de fabuleux projets : créer ex nihilo un jardin botanique, un Muséum, une tradition scientifique. 

 

Au début de l'année 1817 Aimé, Adeline et Emma accostent à Buenos Aires. Mais là encore rien ne se passe comme prévu et Bonpland végète trois ans au milieu des guerres civiles qui déchirent le continent. Enfin, à la fin de l'année 1820, il peut partir explorer le territoire argentin pour classer, répertorier et mettre en valeur les ressources naturelles du territoire. Bonpland choisit de travailler avec le gouvernement de la province de Corrientes qui domine alors une partie du pays. Erreur fatale : il s'installe le long du Paraná, dans une ancienne mission jésuite, à la frontière du Paraguay et y développe une activité économique concurrente du pays. En décembre 1821 José Gaspar Rodríguez de Francia, le dirigeant du Paraguay, ordonne la destruction de son établissement ainsi que son enlèvement. Bonpland est emmené dans l'ancienne mission jésuite de Santa María de Fe. Il demeure neuf années dans cette prison à l'air libre. Là, tout lui réussit.

 

Bonpland soigne, cultive, enseigne et apprend auprès de la population guarani. Puisqu'il ne sait pas s'il sera un jour libéré il refonde sa vie et développe un modèle d'établissement autosuffisant à l'intérieur d'un pays qui se veut autarcique. Il se fait agriculteur, éleveur, menuisier, pâtissier, hospitalier... Puis se fait expulser, ou libérer, au début de l'année 1831. Bonpland n'aura de cesse de reproduire ce modèle jusqu'à la fin de sa vie.

 

D'abord au Brésil, puis en Argentine, il tente comme en 1817 d'associer recherche scientifique et développement économique. Bonpland devient à la fois propriétaire d'une chacra sur les rives brésiliennes du río Uruguay et locataire d'une estancia sur la rive argentine du même fleuve. Il décuple d'activité mais les guerres intestines l'empêchent de prospérer comme de se reconnecter solidement avec le milieu scientifique européen et américain. Encore une fois Bonpland végète.

 

Végéter pour végéter, il décide de s'enraciner dans les terres des Missions.  Au cours des années 1840 il fonde un foyer avec son ultime compagne, Victoriana Cristaldo. Aimé devient père de trois enfants, confiné dans sa chacra de São Borja. En 1852, enfin, les guerres civiles cessent dans les Missions. Il peut se consacrer à cultiver ses jardins.

 

Il peut de nouveau aller et venir d'un bord à l'autre des fleuves du Río de la Plata avec une énergie débordante, inépuisable. Jusqu'à sa disparition, le 10 mai 1858, Bonpland continue de semer ce qui est aujourd'hui son héritage : le travail au service de l'intérêt général. Il conseille, dirige, explore, fonde encore. Il est à l'origine, avec Juan Pujol, du Muséum d'Histoire naturelle de Corrientes qui porte son nom ; il fait de son estancia de Santa Ana une ferme modèle qu'il souhaite destiner à l'enseignement ; il herborise, décrit, écrit, transmet ses connaissances sans relâche. 

 

Celles-ci demeurent de part et d'autre de l'Atlantique. Elles sont en lien avec l'histoire naturelle, culturelle, universelle. Son histoire fait partie intégrante de beaucoup d'autres, elle rejoint en bien des points l'Histoire. Sa mémoire est toujours vivante, son oeuvre se poursuit ici et là. 

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